And Something's odd - within -
That person that I was -
And this One - do not feel the same -
Could it be Madness - this?
Emily Dickinson
« Et donc, quand j'avais sept ans, je crois... Ouais, sept ans. Quand j'avais sept ans, j'ai eu ce chien appelé Reggie. C'était un chien plutôt cool, gentil. Il m'apportait des cadeaux tout le temps. Tu sais ce que c'étaient comme cadeaux? »
Tom serrait les dents, passant lentement le balai dans le couloir alors que Bill le suivait.
« Quoi? » dit finalement Tom.
« Des serpents. Il m'apportait des serpents et je hais les serpents. »
« C'est cool les serpents » dit Tom.
Bill rit, son visage s'éclairant. « Des fois il m'apportait des souriceaux... mais surtout des serpents. Une fois y'en a un qui était encore vivant et il m'a mordu directement à la jambe. J'ai encore une cicatrice. »
Tom acquiesça, prenant un virage, espérant que peut-être Bill ne le suivrait pas.
Mais bien sûr, c'était se faire trop d'espoir.
« Tu as déjà eu un chien? » demanda Bill, berçant doucement sa poupée.
« Tu me le demandes? » Tom jeta rapidement un regard à Bill.
« A qui d'autre? » Bill le regarda bizarrement.
« Ouais, j'ai eu des chiens. Un. Il est mort... Il adorait courir après les voitures. » dit Tom
« Oh, non. Ça craint » murmura Bill. « Je déteste les petits chiens »
« Les petits chiens? »
« Les petits qui ressemblent à des choses merdiques comme le balai que tu utilises. Oh- oh, attend. » Bill arrêta de bercer la poupée et l'approcha de son oreille. Son expression passa de l’amusement à l’inquiétude. « Oh, non. Joey est un garçon exigeant aujourd'hui. »
Tom fronça les sourcils. « Qui? »
« Joey » répéta Bill. « Mon bébé... »
« Son nom n'était pas Gabi? »
« Non, non, non! C'est Joey, J-Joey. Son n-nom est Joey. » dit Bill, ses yeux se voilant.
Tom regarda autour d'eux. Il y avait des gens tout près mais ils ne leur prêtaient aucune attention et Bill commençait à lui taper sur les nerfs.
« Je suis sûr qu'il va bien. » décida de dire Tom.
« Joey est une fille. »
« Elle va bien. »
Bill sourit faiblement. « C'est tellement dur de s'en o-ocupper. »
« Hm Hm... » Tom accéléra ses mouvements, passant le balai plus vite dans le couloir. Bill semblait traîner derrière lui, ses pas devenant plus lents.
« Tom, je pense qu'il est malade » dit faiblement Bill.
Tom soupira et stoppa ses gestes. « Bien, peut-être que tu devrais demander à Kaaren. »
« N-non » répondit fermement Bill. « Je... Je dois être la seule personne à m'occuper d'elle. »
« Ok, je devrais peut-être te laisser pour que tu t’occupes de ça » dit rapidement Tom.
« Dégages d'ici » dit Bill, ses yeux devenant subitement noirs. « Laisse nous seuls. »
« Bien » dit sèchement Tom en disparaissant à l'angle d'un couloir et soupirant une nouvelle fois. Il soupirait beaucoup dernièrement, surtout à son boulot. Faire l'étage de la blanchisserie avait été ajouté à sa liste de responsabilités et même si c'était un boulot chiant, il était à chaque fois heureux de quitter le cinquième étage. Surtout depuis que Bill semblait apparaître de nulle part quand il ne s'y attendait pas.
Tom entra dans la cage d'escaliers. Il ne supportait plus l'ascenseur, ça le stressait et de toute façon, il gagnait plus de temps en prenant les escaliers. Il trifouilla ses poches, afin d'être sûr d'avoir encore son paquet de cigarettes. Il l'avait, et il soupira de soulagement, il pouvait presque sentir l'odeur des cigarettes.
Georg était assis sur une des machines à laver quand il entra, et Tom sourit, levant sa main pour taper celle de Georg et improviser une sorte de shake.
« Hé » dit Georg, ses yeux brillaient.
« Oh putain » dit Tom, secouant sa tête. « Tu pues »
« Je pues la bonne odeur. » Georg sauta de la machine et frotta son jean pour enlever les cendres de son joint. « J'étais sur le point de retourner bosser. »
« Ouais, moi aussi »
« J'ai quand même quelques minutes » dit Georg. « Quoi de neuf? »
« J'ai fait une liane de draps sales et je suis sur le point d'me pendre » dit honnêtement Tom.
« Rien de pire. Le cinquième n'est pas aussi affreux. » répondit Georg.
« Nan, sauf ce dingue qui parle à une poupée et qui me suit partout. »
« Oh, c'est juste Bill. »
Tom haussa un sourcil. « Tu le connais? »
« Il est sympa. Je pense qu'il est drôle. » dit Georg.
« Drôle? » Tom fronça les sourcils. « Putain. »
« C'est ta petite ombre maintenant » rit Georg. « Passe lui le bonjour »
« Je pensais que c'était une fille au début. » dit Tom, plissant son nez. « Des fois je pense encore qu'il en est une. »
Georg haussa les épaules. « Bon, je dois retourner travailler. Amuse toi bien avec Bill, et quoique tu fasses, soit gentil avec son bébé »
« Ugh »
Tom sortit ce qui restait dans la machine et enfouit son visage dans les tissus de coton chaud. S'il était resté plus longtemps comme ça, il serait probablement tombé dans les pommes et ça lui aurait permit d'avoir un peu de temps libre pour le lendemain.
Il grogna et se redressa, respirant un peu d'air frais. Il n'avait même pas fumé. Il se dit qu'il ferait mieux de retourner travailler, peut-être qu'ils le laisseraient rentrer chez lui plus tôt, si tant est qu'il trouve quelqu'un pour le ramener chez lui.
Les grandes marches des escaliers n'étaient pas agréables à monter, surtout avec quelques kilos de linges sur les épaules. Il crevait d'envie de fumer remarqua-t-il alors qu'il passait la porte de sécurité du cinquième étage. Il aurait dû fumer quand il en avait eu l'occasion.
Après avoir donné le linge aux infirmières, Tom retourna chercher son balai et son seau. Il se rendait au coin où il était avant qu'il parte quand il entendit un petit bruit venir d'une des chambres.
Normalement, il ne regardait pas à l'intérieur des chambres des résidents. Il pensait que ce n'était pas ses oignons, et aussi, ça le gênait incroyablement. Cependant, des fois il cédait, et cette fois, il le regretta.
Il vit Bill assit les jambes croisées sur un lit défait, sans draps, recroquevillé, les épaules tremblantes. Il pleurait et serrait maladivement sa poupée.
Tom soupira, s'arrêtant juste contre la porte. Il ne savait pas quoi faire. Il regarda dans le long couloir et ne vit personne. Puis ses yeux revinrent se poser sur Bill, et il ressentit de la compassion pour lui. Tom se sentait vraiment mal; Bill paraissait triste et seul, et il semblait que personne ne savait qu'il était ici.
Ignorant sa conscience, Tom entra dans la pièce, les mains enfoncées dans ses poches. Alors qu'il s'avançait plus près de Bill, il se sentait de plus en plus gêné. Les petits sanglots de Bill et le tic tac de l'horloge étaient les seuls bruits qui venaient briser le silence de la pièce.
« Hey » dit doucement Tom. « Ça va? »
Bill ne réagit pas, il continuait de pleurer silencieusement, se recroquevillant de plus en plus, ses cheveux cachant son visage et sa poupée.
« Bill? »
Bill secoua rapidement la tête et Tom fronça les sourcils.
« Tu veux que j'appelle quelqu'un? »
Un autre secouement de tête.
« Je peux t'apporter quelque chose? »
Un hochement de tête.
Tom croisa les bras, regardant par la porte. Il pouvait partir, ce n'était pas son boulot. En fait, il était pratiquement sûr qu'il n'avait pas le droit d'être là. Bill était un patient très malade, instable et un peu fou semblait-il. Tom ne savait pas ce qu'il était arrivé à Bill, il ne savait pas ce qui l'avait rendu comme ça ou s'il avait toujours eu ce comportement.
« Ok, qu'est ce que je peux t'apporter? » fut tout ce que Tom dit
« Peut-être de... Peut-être un peu d'eau. » répondit presque muettement Bill. « Joey ne peut pas b-boire dans une tasse par contre. Il n'y a j-jamais de biberons. »
« Ah. » dit spontanément Tom. « Donc toi tu veux une tasse d'eau? »
« Je n'ai pas soif. »
« Hm » Tom se recula d'un pas. « Je vais, euh, chercher Kaaren. »
« Non! » Bill leva les yeux brusquement. Son maquillage avait coulé sur ses joues, y laissant de longues traînées noirâtres. Tom regarda ailleurs instantanément. « S-surtout pas »
« Ok, je n'irai pas. » Tom leva les mains en l'air et se recula une nouvelle fois. « Alors… Euh... Joey veut de l'eau? »
« Ouais. Mais comme je l'ai dit, p-pas de biberons, jamais de b-biberons. Les bébés sont supposés boire dans des biberons. Personne ne sait rien p-par ici » dit coléreusement Bill.
Tom acquiesça lentement. « Comment boit Joey d'habitude? »
« Dans un biberon... Mais je sais pas où il est. »
« Ah. » Les yeux de Tom examinèrent le sol, juste en dessous du lit de Bill. Il y avait un biberon de dînette sale et fendu par terre. « Tu as cherché partout? »
« Dans tous les putains d'endroits » chuchota Bill, couvrant les oreilles de la poupée. « Elle a tellement soif. »
« Ne t'inquiètes pas » s'entendit Tom dire et pire, il se vit se rapprocher de Bill. « Je pense que je sais où il est. »
« Vraiment? » Bill leva la tête, ses yeux bruns écarquillés. « Vraiment, comment? »
Tom se pencha et attrapa le jouet, et le montra à Bill. « Est ce que c'est ça? »
Les yeux de Bill s'éclairèrent. « Hé, c'est... Ouais, c'est ça. Jo-Joey peut boire maintenant, tant mieux. » Il tendit un bras tremblant et attrapa le biberon des mains de Tom, agrippant son poignet un instant.
Tom paniqua et fit un mouvement en arrière instinctivement. « Euh. »
« Merci » chuchota Bill. Il lâcha prise et reporta son attention sur la poupée. « Arrêtes de pleurer, ok? Arrêtes ça, chut, je t'ai trouvé quelque chose à boire. »
Tom regardait Bill caresser amoureusement et doucement les cheveux emmêlés de sa poupée. Le biberon en plastique était posé à côté de lui sur le lit, presque oublié.
« Quand tu nourris un bébé tu dois faire attention à ce qu'il n'en ait pas trop d'un coup » marmonna Bill. « Et tu dois toujours en verser un peu sur ta peau d'abord. Genre sur ton bras. Si c'est trop chaud, ça pourrait... ça pourrait être d-dangereux. »
« Ah. »
Bill leva les yeux, souriant à nouveau. « Tu laves les sols? »
« Pas tout de suite. Je veux dire, ouais, je le ferais. » dit Tom. Il aimerait aider Bill, le calmer un peu – pourquoi restait-il pour discuter? « Il me reste quasiment tout à faire. »
« Pourquoi? »
« Parce que... C'est comme ça. » répondit Tom. « Tu veux les laver? »
Bill eut un petit rire, s'enroulant sur lui même. « Pas moyen. »
Tom se sentait un peu idiot à rester debout sans rien faire, il ne savait pas comment partir. Il avait peur que Bill perde complètement la tête une nouvelle fois s'il le faisait. « Et bien... Quelqu'un doit le faire. »
« Il vaut peut-être mieux que ce soit toi » taquina Bill.
« Oh... Ouais » répondit Tom. Il avait baissé sa garde et avait été pris par surprise. Juste un moment plus tôt, Bill était complètement agité, et maintenant il paraissait tout à fait normal. « Bien, je pense, ouais. A plus tard? »
Il se recula de nouveau.
« Ouais » répondit Bill dans un sourire. « Et la prochaine fois, ne pues pas le shit. C'est dégueulasse. »
Tom plissa son nez. « Qu'importe. »
« Je le dirais à Kaaren » dit Bill en chantonnant.
Tom grimaça. « Je te l'interdis. »
« Je l'ai dit pour Georg une fois. »
« Ouais? » demanda Tom, visiblement intéressé. « Pourquoi? Tu es le genre de mec à balancer les autres? »
« Non. Georg était un trou du cul avec moi. » Bill poussa un gros soupir. « Trop dommage que Kaaren ne m'ait pas cru. Personne ne me croit jamais. »
Quelque chose dans cette déclaration rendit Tom triste, c'était une déclaration pleine de mélancolie, et Tom pouvait dire que Bill s'échappait de son état « normal » à nouveau.
« Ok, bon, à plus. » dit rapidement Tom.
« Je ne le dirai pas. » grommela Bill. « Si c'est ce pourquoi tu es énervé. »
« Je ne le suis pas, j'ai juste un tas de boulot à faire. » Tom était tendue, il commença à serrer ses dents. « Ok? »
« Ok, à plus. »
Quand Tom quitta la chambre, Bill s'était de nouveau recroquevillé, serrant sa poupée et une de ses mains tenait le biberon en plastique.
**
« Dis-moi juste quelque chose, même une chose idiote » insista Brigitte. Elle pressa l'une des mains de Tom contre la sienne, souriant. « Tu disparais dans cet endroit presque tous les jours et tu n'as jamais rien à dire dessus. »
« Parc'que il n'y a rien à dire » dit Tom. « C'est tellement chiant, Brige. »
« Impossible. »
« Si. Y a pas pire. » Tom sourit et se rapprocha d'elle, bougeant une main sur sa cuisse. « Mais c'est mon jour de repos, ne parlons pas de cet endroit. »
« Je veux savoir » insista une nouvelle fois Brigitte, souriant en retour à Tom. « Je travaille toute la journée à la banque. Il n'y a jamais rien qui arrive là-bas mais je continue à t'en parler. »
« Peut-être que tu ne devrais pas » la taquina Tom, pinçant son épaule.
Brigitte lui tira la langue et Tom se pencha en avant, l'attrapant entre ses lèvres et l'embrassant goulûment, la reprochant plus près de lui. Elle gémit faiblement et enfouit ses doigts dans les dreads de Tom, tirant dessus.
« Han. » murmura Tom. « Tu me manques, Brige. »
« Tu me manques aussi » répondit Brigitte dans un petit sourire. « Je deviens folle depuis que l'école est finie. »
« Folle de la bonne façon » dit Tom.
« Peut-être » Brigitte s'éloigna et soupira. « Je pars bientôt à l'université, je te l'ai dit? J'ai décidé d'y aller. »
« Oh » marmonna Tom. Il sentit son visage rougir un peu et regarda par terre. « Donc tu vas partir? »
« Ouais, mais ça ira » dit Brigitte, donnant un petit coup sur l'épaule de Tom. « Et je ne pars pas avant genre 2 mois. »
« Je ne partirai jamais » dit faiblement Tom.
« Tu pourrais, si tu le voulais » dit Brigitte. « Tu n'as fait aucune demande d'inscription. »
« Ouais, et regarde à quel point je vais bien. » dit Tom. « Arrêté dès la première semaine de vacances. »
« Ils vont vite te laisser tranquille parce que tu es un bon garçon. »
« Je suppose que j'ai au moins ça pour moi. Même Andreas part à, putain, Londres ou je ne sais où »
Brigitte enlaça Tom et le pressa contre elle, lui caressant le dos et embrassant son cou. « Ferme la. » dit-elle. « Tu es génial. »
« Génialement stupide. »
Elle lui donna un coup dans l'épaule. « Sérieux, arrête ça. »
« Tu as faim? » demanda Tom. « Je vais nous chercher quelque chose à dîner. »
« Tu n'en a pas les moyens » répondit Brigitte, elle se mordit la lèvre dès qu'elle se rendit compte de ce qu'elle venait de dire.
Tom ferma les yeux un moment. « Ouais, je sais. Merci de remettre ça sur le tapis. »
« Je vais acheter à dîner » dit Brigitte, prenant sa main. « Je veux prendre soin de toi tant que je le peux encore »
« Vas te faire, Brige » marmonna Tom, lui souriant enfin. « Tu es vraiment trop bien pour moi. »
« Je sais » dit elle, les yeux pétillants. « Ça va aller nous deux, ok? »
« Ouai, on est fort. » Tom l'embrassa à nouveau et soupira alors qu'elle sortait son portable pour leur commander une pizza.