We are not ourselves when nature, being oppressed, commands the mind to suffer with the body.
William Shakespeare
Tom mit paresseusement le reste du linge dans la machine et ferma la porte. Il avait travaillé dur toute la soirée dans la laverie. Kaaren l'avait maintenu occupé là-bas et Tom ne s’en plaignait absolument pas.
S'il devait être à la clinique, il préférait se cacher, en bas, dans la laverie où personne ne pouvait le trouver.
Plusieurs jours étaient passés depuis que Tom avait quitté son travail sans un mot. Sa mère était venue le chercher et le silence avait régné sur le chemin du retour. Quand ils étaient arrivés à la maison, Tom était directement monté dans sa chambre et s'y était enfermé, tremblant, se maudissant lui-même.
Il se demandait, il se demandait réellement, si passer pas mal de temps dans une clinique psychiatrique suffisait à rendre une personne véritablement folle.
Tom avait fini de décharger le linge et il s'appuya contre la machine, massant ses tempes. Il crevait d'envie de prendre une cigarette. Sa peau commençait à le démanger et il léchait son palais.
Il fuyait encore.
Ce n'était pas seulement le cinquième étage. C'était Bill, c'étaient ses sentiments pour Bill. Il pouvait facilement éviter le cinquième étage; Kaaren avait assez de travail à lui donner autour du bâtiment pour l'occuper plusieurs jours, mais il ne pouvait pas enlever Bill de son esprit.
Il ne pouvait faire disparaître l'image de Bill, retenu sur son lit et essayant tellement fort de se libérer, de sa tête. Il ne pouvait y échapper. Et il entendait Bill aussi. Il entendait ses hurlements, ses gémissements, ses pleurs désespérés et douloureux.
Il entendait le rire de Bill, voyait le sourire de Bill, sentait les lèvres de Bill.
Tom fronça les sourcils, se penchant en avant et expirant. C'était malsain. Bill était malade et Tom était malade de penser autant à Bill. Tout ça était juste... dérangeant.
Il frotta ses doigts contre son paquet de cigarettes et se mordit les lèvres. Il avait peut-être le temps de fumer une ou deux cigarettes. Il était sur le point de prendre son briquet quand la porte de la cuisine s'ouvrit et Georg entra.
Leurs yeux se rencontrèrent et Tom garda une expression neutre.
« Hey » dit vaguement Georg.
Tom hocha juste la tête, regardant Georg prendre son sac et farfouiller à l'intérieur. Il en sortit une bouteille d'eau et en prit une gorgée, essuyant sa bouche avec son avant-bras.
« C'est quoi le problème? » demanda Georg.
Tom haussa les épaules. « J't'avais pas vu depuis un moment. »
« Et bien, j'ai le service tôt, n'est-ce pas? » dit brièvement Georg. « Et tu es de nuit, maintenant. »
« Ouais » marmonna Tom. « J'crois. »
« Comment tu vas? »
« Fatigué » répondit Tom. « Putain juste... crevé. »
« Tu devrais essayer de dormir. » Georg posa son sac, un petit sourire en coin ornant son visage. « Ou reste allongé. C'est Brigitte son nom, non? »
« Ne parle pas d'elle » dit brutalement Tom.
Georg fit une grimace. « Stresse pas. T'es encore énervé pour l'autre jour. »
Tom soupira. « C'est pas important. »
« Hmm » Georg ferma la fermeture éclair de son sac et fourra sa bouteille dans l'une de ses poches. « Ouais, t'as raison. Ça l'est pas. Alors remets-toi en. »
Tom sentit son sang commencer à bouillir et serra ses poings contre ses côtes. « T'es malade. »
« Pas vraiment. Je ne suis pas celui qui traîne avec un putain de malade mental. »
« Quoi? » Les yeux de Tom s'élargir.
« Oh, ouais. Gustav m'a raconté que tu suivais Bill partout comme un idiot. Gentil Tom. » dit Georg, roulant ses yeux. « Ils ne t'ont rien appris? »
« Ta gueule. »
Georg rit. « Ok, qu'importe. Hé, comment il va sans sa poupée? »
Tom ferma les yeux et avala difficilement sa salive. Il voyait rouge et ses articulations le démangeaient par envie de mettre un poing à Georg. Quand il ouvrit à nouveau les yeux, Georg souriait, les bras croisés.
« Bien » siffla Tom entre ses dents.
« J'ai entendu dire qu'il a complètement pété les plombs. Oh, mec, je n'avais pas encore de raison pour monter mais quand j'y suis allé » dit Georg, souriant. « Merde. Oh. Et bien, j'dois y aller. »
Tom leva lentement son poing et fut sur le point de se jeter en avant et de frapper Georg quand il se raisonna. Il ne pouvait pas frapper Georg. Il ne pouvait rien faire à Georg parce que Georg l'avait.
Alors Tom se contenta de regarder Georg partir, les épaules lourdes et le coeur douloureux.
**
Tom, hésitant, passa la porte de sécurité du cinquième étage. Il avait passé assez de temps à fuir; il devait faire face à cet endroit, et son balai et son seau l'attendaient. L'étage était presque silencieux hormis les habituels bruits qui y régnaient – le rangement de papiers, le bruit des chaussures, les toux des patients. Il faisait noir; Tom avait oublié à quoi l'étage ressemblait dans la lumière.
Il descendit un couloir pour prendre son balai mais il ne prit pas le bon couloir. Il prenait la si familière route menant à la chambre de Bill. Il savait que le garçon devait dormir, mais il voulait regarder à l'intérieur. Il devait enfin voir si Bill allait bien.
Il y avait une légère agitation devant sa porte. Plusieurs infirmières s'étaient rassemblées devant sa porte et des petits sanglots provenaient de l'intérieur. Les infirmières avaient l'air fatigué et frustré. Tom fronça les sourcils et continua à se rapprocher.
«... refuse encore ses médicaments, ça fait des jours » disait une des infirmières.
« Je sais. Et le forcer à les prendre n'est plus envisageable. Il s’entête à les ignorer, mais Dieu le condamnera si je ne persévère pas. Il a besoin de ses médicaments. » répondit une autre, fronçant les sourcils.
Tom grimaça, regardant le sol et restant en arrière quelques minutes.
« Il ne s'arrête pas de pleurer » dit l'autre infirmière, les yeux fatigués. « Ça fait des jours et des jours que ça dure, j'espère qu'il finira par dormir. »
« Depuis que cette poupée a disparu... »
Tom soupira et tapa sa tête contre le mur. Il pouvait entendre les gémissements de Bill, ses interminables pleurs. Il souhaitait que Bill prenne ses médicaments, ou quoique ce soit.
« Tom » dit doucement Kaaren, faisant un pas derrière lui et mettant une main sur son bras.
« Oh » murmura Tom, se retournant, l'air coupable. « J'étais sur le point d'aller travailler. »
« Je sais. Viens avec moi » dit Kaaren, indiquant le bout du couloir. « Je veux te parler. »
Tom se mordit les lèvres et la suivit à travers le couloir, restant concentré sur les pleurs de Bill. Kaaren se glissa dans son petit bureau et Tom y entra après elle. Elle pointa une des chaises devant son bureau, et Tom s'assit à contrecoeur.
« Alors » dit prudemment Tom.
Kaaren soupira. « Je suis inquiète. »
« À propos de quoi? »
« À propos de... ton attachement. Non, amitié. De ta relation avec Bill. Je suis inquiète » dit à nouveau Kaaren.
Les joues de Tom rosirent et il s'affaissa dans son siège, fixant le sol.
« Je... ne veux pas le décourager. Non, je veux » dit-elle, l'air peiné. « Je... ne peux pas... Bill est vraiment spécial. Il est très malade, Tom. Tu le comprends? »
« Je le comprend » répondit faiblement Tom.
« Et tu es... Et bien, tu es seulement là pour une petite période. Tu as vu ce qui est arrivé quand il a perdu cette poupée? Former des attachements... » Kaaren fit une pause. « Bill ne peut pas créer... des attachements temporaires. »
« Je suis son ami. »
« Tu ne peux pas l'être » dit franchement Kaaren. « Tom, je suis désolée, mais... Quand Bill s'attache à quelque chose, ça doit être... permanent. Il a besoin d'une constante. Tu es temporaire. Ce sont des travaux d'intérêt général, Tom. Je t'avais demandé, très clairement au début, de ne pas intervenir auprès des résidents. »
« Il est venu à moi » dit Tom.
« Je sais qu'il l'a fait. Il a vu quelque chose en toi et s'y est attaché. Comme il l'avait fait avec la poupée. On a autorisé la poupée parce qu'on pensait que ça irait, mais comme ça n'a pas marché, c'était une très, très mauvaise idée » dit Kaaren, l'air las. « Il te reste seulement 5 semaines. »
« Je peux rester » se surprit Tom à dire.
Kaaren secoua la tête. « Ça ne marche pas comme ça, et je sais que ça serait vraiment mauvais. Pour vous deux. Je ne pense pas que tu saches à quel point Bill est malade. »
« Il n'est pas malade » rétorqua sèchement Tom.
« Et ensuite? »
« Des fois il va bien » murmura Tom.
« Je sais. Ne te laisse pas duper par ça. Tom, j'ai toujours pensé que tu étais un bon gamin mais s'il te plaît, apprend à te retirer. C'est le moment. S'il te plaît, fais ça pour moi. »
Tom, irrité, bougea dans son siège. « Je peux aller balayer le sol maintenant? »
Kaaren hocha la tête. « Penses-y sérieusement, Tom. »
« Bien » dit Tom, se levant de sa chaise et sortant de la pièce. Il ne s'arrêta pas avant de passer la porte de sécurité donnant accès à la cage d'escaliers, puis il accéléra dans les escaliers jusqu'à arriver à la laverie.
Il s'immobilisa au milieu de la pièce quelques instants, se contentant de l'inspecter du regard. Ce qu'il cherchait devait être là. Il le sentait dans ses entrailles et il fouillerait la pièce jusqu'à le trouver. Il ouvrit toutes les armoires avec son pied, de la sueur perlant sur son front et ensuite inspecta les piles de vieux linge.
Rien.
Puis, haletant, Tom se dirigea droit sur le sac à dos de Georg et le prit, tirant sur la fermeture éclair. Quelques bouteilles d'eau s'échappèrent puis il farfouilla dans les affaires.
Là, en dessous d'un tee-shirt de Georg roulé en boule, il y avait la poupée de Bill.
« Oui » chuchota Tom. Il caressa les cheveux emmêlés de la poupée, l'enlaçant presque. La poupée était un petit morceau de Bill et il était si heureux de la voir à nouveau. Il pressa les cheveux contre son visage et il respira, trouvant que ça sentait comme Bill.
Quand Tom remonta au cinquième étage, il trottinait presque dans le couloir vers la chambre de Bill, serrant la poupée si fort que ses doigts en étaient douloureux. Il approcha du groupe d'infirmières et certaines d'entre elles se retournèrent, lançant des regards très désapprobateurs à Tom.
« Non » dit l'une d'entre elle, secouant la tête. « Cet espace est hors limite. »
Tom entendit les pleurs de Bill à l'intérieur et grogna. « S'il vous plaît, laissez-moi entrer. »
« Non » dit fermement une autre. « Qui êtes vous? Les heures de visites sont terminées. »
« J'ai quelque chose pour- »
La première infirmière posa une main sur l'épaule de Tom et commença à le pousser en arrière, mais Tom se libéra et retourna vers la porte de Bill. Il essaya d'y entrer et se retrouva nez à nez avec Kaaren.
« Tom » dit-elle sévèrement, fronçant les sourcils.
« Laissez-moi entrer » dit désespérément Tom. « Je dois voir Bill. »
« Non- »
« Si » répondit vivement Tom. « Je sais ce que je fais. »
Kaaren poussa un gros soupir. « Tom... »
Tom regarda derrière Kaaren et vit Bill, sur le lit, mollement allongé, les yeux dans le vague. Il lança à Kaaren un dernier regard et marcha lentement vers le lit de Bill.
« Bill » dit doucement Tom. « Bill, tu m'entends? »
Bill regardait droit devant lui.
« Bill, j'ai apporté quelqu'un qui veut te voir » continua Tom, tenant la poupée derrière son dos. « Tu veux voir quelqu'un? »
Bill secoua très légèrement la tête, mais ses yeux se connectèrent à ceux de Tom et quelque chose étincela entre eux. Il cligna des yeux et Tom sourit, se rapprochant d'un pas de façon à être juste à côté de Bill.
« Je pense que tu en as envie » chuchota Tom. Il sortit la poupée et Bill la fixa un moment, déconnecté.
Tom retenait sa respiration. Est-ce que Bill avait oublié la poupée?
Les yeux de Bill étaient à moitié fermés alors qu'il fixait la poupée. Il laissa sa tête tomber contre son épaule et se pencha en avant avec des doigts tremblants.
« Tomi » bredouilla-t-il.
Kaaren se rapprocha derrière Tom et fronça les sourcils. « Tu l'avais prise? »
« Non » dit Tom, maintenant ses yeux sur Bill. Il posa la poupée dans les mains de Bill et Bill l'appuya lentement contre sa poitrine, fermant les yeux et soupirant. Il inclina sa tête, ses cheveux cachant son visage et Kaaren se tourna vers Tom.
« Alors où était-ce? »
« Laverie. » Tom lui lança un regard et reposa ses yeux sur Bill. Bill caressait le dos de la poupée, tremblant encore, les épaules rentrées et les genoux pliés. Il ressemblait à un enfant, s'accrochant désespérément à sa poupée.
« Bill » dit prudemment Kaaren.
Bill ne leva pas le regard, ne bougea pas, ne parut même pas savoir que Kaaren était dans la pièce. Kaaren laissa échapper un soupir et croisa ses bras, haussant les épaules. Tom se mordit la lèvre alors que Bill enroulait ses bras autour de son corps et de la poupée, disparaissant presque à l'intérieur de lui. Son dos était courbé dans un angle parfait et son front touchait presque le matelas.
Kaaren se rapprocha de quelques pas et toucha légèrement le dos de Bill. Bill ne réagit même pas.
« Tu devrais peut-être y aller Tom » dit Kaaren. « Je pense- »
« Non » dit la voix étouffée de Bill.
Tom regardait la boule ronde que Bill formait sans pouvoir intervenir. « Um. »
« Bill » dit à nouveau Kaaren. « Tu m'entends? »
A nouveau Bill ne répondit pas. Il se roula encore plus, ni son visage ni celui de la poupée n'étaient visibles. Il murmurait quelque chose, le murmurait rapidement et faiblement. Tom n'arrivait pas à saisir ce qu'il disait, mais il savait pertinemment que Bill ne pouvait, ou ne voulait rien entendre de ce que disait Kaaren.
« Bill » essaya Tom.
Bill bougea et leva la tête, ses yeux rencontrant ceux de Tom. Kaaren se tendit et Tom sourit à Bill. Bill le fixa en retour, les yeux dans le vague, mais au moins il y avait une connexion. Il serrait avec acharnement les cheveux de la poupée, comme s'il avait peur qu'on la lui reprenne. Tom s'assurerait que ça n'arriverait plus jamais.
« Bill » dit doucement Kaaren. « J'ai besoin que tu prennes tes médicaments. »
Bill baissa à nouveau sa tête et Kaaren regarda Tom, l'implorant du regard. Tom haussa les épaules.
« Peut-être... demande lui » dit Kaaren. « Il ne répond à, euh, personne d'autre. »
Tom secoua la tête. « Non, je ferais mieux de partir- »
« Non » dit à nouveau Bill, d'une petite voix.
Se mordant les lèvres, Tom regarda autour. Les infirmières en dehors de la chambre étaient parties et le couloir était de nouveau noir. Tom et Karen étaient seuls, et Bill ne répondait de nouveau plus.
Tom se rapprocha du lit de Bill et essaya de le voir à travers ses bras et ses cheveux. « Bill, tu nous entends? Je pense que tu peux. »
« Tomi » bredouilla Bill.
« Je suis là » dit Tom. « Tu vas bien? »
Bill hocha la tête contre les draps. « Je vais b-bien. »
« Je sais » répondit Tom.
« Où étais-tu parti? » Bill tourna sa tête vers Tom, les yeux flous et confus.
« Je suis juste... parti pour un petit moment. »
Kaaren soupira. « Je dois y aller, la baby-sitter que j'ai embauché a un couvre-feu... Tom reste quelques minutes avec Bill, ok? Je vais envoyer une infirmière dans- »
« N-non » dit fermement Bill, s'asseyant et enlaçant la poupée contre son cou.
Tom se sentait énervé, énervé contre Kaaren parce qu'elle irritait Bill. Il ne savait pas quoi dire. Il se leva maladroitement, pas sûre de savoir s'il devait rester ou partir.
« Ok » abdiqua Kaaren. « Tom, je peux te dire un mot? »
Tom grogna légèrement mais suivit Kaaren dans un coin éloigné de la chambre, à l’abri des oreilles de Bill.
« Je n'aime pas ça » dit-elle à Tom. « Je n'aime pas ça du tout, mais là, c'est ce qui est bon pour la santé de Bill. »
« Qu'est-ce que c'est? »
« Toi » répondit Kaaren, fronçant les sourcils. « Il ne... Il ne répond à personne d'autre. Pas depuis des jours. Et puis tu es entré, lui a rendu son bébé... Où l'a tu gardé tout ce temps? »
« Je vous l'ai dit » dit Tom, irrité. « Je ne l'ai pas fait. »
« Alors qui? »
Tom avait pensé à balancer Georg. Il le voulait si gravement, mais tout ce qu'il fit fut d'hausser mollement les épaules. « Je ne sais pas. Je l'ai vu dans la laverie quand j'ai bougé une pile de linge. »
« Je ne sais pas qui pourrait faire quelque chose d'aussi dégoûtant. » Karen et Tom regardèrent Bill, qui chantait adorablement pour la poupée. « Tu ne peux pas être son héros, Tom. »
« Je n'essaye pas de l'être. »
« Je pense que si » dit Kaaren. « Je ne sais pas pourquoi mais je... Je n'aime pas ça. »
Tom fronça les sourcils. « Qu'est-ce que je suis supposé faire? »
« Rester loin de lui, au point où ça en est, est inutile. » Kaaren secoua la tête. « Te raisonner aussi. »
Tom fit un mouvement en arrière mais Kaaren agrippa son épaule, l'immobilisant.
« Juste ce soir » dit Kaaren. « Juste ce soir j'ai besoin que tu restes avec lui un moment. »
« Je ne peux pas » protesta Tom.
« Tu peux. S'il te plaît » dit-elle. « Parle-lui. Traîne avec lui. Ne le laisse pas partir à nouveau. »
Tom bougeait inconfortablement sur place. Bien sûr qu'il voulait rester avec Bill, mais ça sonnait comme une responsabilité. Il ne voulait pas penser à Bill de cette façon-là. « Je ne sais pas. »
« Tom, je ne te le demande pas vraiment. Je suis ton supérieur et ce soir, c'est une partie de tes travaux d'intérêt général » dit fermement Kaaren. « Oui, ok... Bon, je dois y aller. »
« Merde » murmura Tom.
« Je veux un rapport complet demain » dit Kaaren. « Compris? »
Tom se retourna pour regarder Bill une nouvelle fois. Il s'était allongé sur le dos avec la poupée sur son torse, la chouchoutant et souriant. Tom hocha bêtement la tête, incapable de parler.
« Bien. À demain » lui dit Kaaren, et elle partit, fermant la porte derrière elle.
La chambre sembla devenir plus sombre et la seule lumière provenait d'une vieille lampe et des faibles lumières fluorescentes du couloir. Tom regarda Bill attentivement. Il avait des marques rouges sur ses poignets et sur ses chevilles où il y avait eu les liens pour le retenir. Ses cheveux étaient un nid à poux et il avait des cernes noires sous les yeux.
Et pourtant, Tom pensait encore qu'il était ravissant, merveilleux. Il marcha lentement vers le lit de Bill, attentif à ne pas l'effrayer. Cela faisait des jours qu'il n'avait pas vu Bill sourire comme ça. Il y avait un verre d'eau et trois cachets sur la table, ainsi qu'un mot en dessous. Patient Kaulitz Bill: Doit prendre ces médicaments par voie buccale aussi tôt que possible. Refuse son traitement depuis Lundi.
C'était un vendredi soir. Tom soupira et secoua la tête. Bill n'avait pas suivit son traitement depuis presque cinq jours.
« Tomi » dit doucement Bill.
Tom leva la tête et se força à sourire. « Hey. »
« Salut. »
Tom ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais Bill baissa la tête, regardant à nouveau sa poupée et lui caressant le visage. « Merci de m'avoir ramené Tomi » chuchota Bill à la poupée.
Tom ne savait pas si Bill parlait à lui ou à la poupée mais il se rapprocha tout de même et s'assit sur le bord du lit de Bill. Bill leva la tête et fit un petit sourire.
« Tu m'as fait peur » dit faiblement Tom.
« Quand les bébés naissent ils ne peuvent absolument rien voir » murmura Bill. « Et ils ont toujours des yeux bleus. Bleus. Celui-ci peut tout voir, cependant, et elle a des yeux bruns. De beaux yeux bruns comme les miens. Comme les tiens, Tomi. »
Tom hocha la tête, laissant Bill parler.
« Ils ne sont pas stupides. Ils savent ce qu'il se passe autour d'eux... Ils savent » continua Bill. « Les bébés. Et s-savait-tu que... les bébés n'ont pas de larmes tant qu'ils n'ont pas à peu près quatre semaines. C'est juste du bruit, ça ne veut rien dire cependant... Ça continue de pleurer et je ne pouvais jamais dormir à cause de ça. Kathryn ne voulait pas m'énerver pourtant. Elle avait peut-être juste faim. »
« Qui est Kathryn? »
Bill trembla un peu. « Une f-fois je l'ai ignorée, juste pour voir combien de temps... M-mais je n'aurais pas dû. »
« Kathryn a les yeux bruns? »
« De gros yeux b-bruns. Avait. M-maintenant ils sont fermés. » Bill baissa la tête et toucha l'oeil cassé de la poupée. « N'est-ce pas Tomi? Des yeux bruns? »
Tom fixa Bill, perdu. « Quoi? »
Bill ferma les yeux et laissa échapper un profond soupir. La poupée tomba de ses bras et atterrit sur le matelas, le visage contre. Les doigts de Bill tremblèrent et il se gratta les côtes et Tom paniqua un moment. Est-ce que Bill allait à nouveau partir?
Il se pencha en avant et toucha l'épaule de Bill. Les yeux de Bill s'ouvrirent et son visage se relâcha tout de suite.
« Tom » dit-il, souriant. « Tu es là. »
« Ouais, je suis là » dit-il doucement, caressant la joue de Bill, son pouce effleurant sa cicatrice.
« Mais tu n'étais pas là avant... » remarqua Bill.
« Non, j'ai dû partir un moment. »
« Pourquoi? » Bill avait l'air de se sentir trahi et il fronça les sourcils, les yeux gros. « Pourquoi es-tu parti? »
« J'étais stupide. »
« Tu n'es pas stupide, Tomi » dit doucement Bill.
Tom baissa la tête et rit un peu. Personne hormis sa mère ne l'avait un jour appelé comme ça. « Tu ne sais même pas. »
« Je n'aime pas quand tu n'es pas là. »
Tom avala difficilement sa salive. « Vraiment? »
Bill se frotta les yeux et tressaillit. « Tu me g-garde ici. »
« Je te garde ici? »
« Quand tu es parti, je suis parti, a-aussi » répondit Bill. « Peut-être pour aller te trouver, je ne sais pas. »
Tom tendit un bras et effleura la joue blessée de Bill avec ses doigts. Bill ferma les yeux et fondit dans le toucher, un air serein sur le visage. Les doigts de Tom coururent le long de la mâchoire de Bill, puis dans son cou.
« Alors c'est là où tu pars? » demanda Tom. « Tu pars me trouver? »
Bill hocha la tête. « P-peut-être. »
« Bien, je ne vais nulle part, alors tu ne devrais pas non plus. »
Bill se pencha en avant et enroula ses bras autour du cou de Tom. Tom fut d'abord choqué; il était d'habitude celui qui prenait l'initiative, mais ensuite il prit Bill dans ses bras et le serra, caressant son dos. Bill enfouit sa tête dans la nuque de Tom et Tom sentit sa respiration chaude et rapide.
Il avait l'air si petit dans les bras de Tom et Tom inspira, sentant la délicieuse odeur de Bill. C'était apaisant, et il poussa presque Bill sur ses genoux. Bill se fondit contre les épaules de Tom et soupira, atteignant une des mains de Tom et croisant leurs doigts ensemble.
Tom glissa ses doigts le long des formes minces de Bill avec son autre main et frotta ses côtes. Bill se recula et fixa Tom, clignant des yeux, penchant sa tête.
« Tu ne vas nulle part? » demanda-t-il.
« Pas tant que tu ne le fais pas » dit honnêtement Tom.
Bill sourit un peu, posant une main sur le visage de Tom. Tom tourna la tête et déposa un baiser sur les doigts de Bill. « Je ne le ferai pas » chuchota Bill.
Tom jeta un coup d'oeil à l'horloge. Son service était presque fini et il savait qu'il ne serait pas à la maison à l'heure. Mais avec Bill dans ses bras, frottant son nez sur lui, ayant besoin de lui, il s'en foutait. Il avait crevé d'envie d'être proche comme ça de Bill depuis des jours. Il s'était senti instable, son sommeil avait été écourté, ses lèvres avaient encore le goût de Bill sur elles.
Il prit entièrement Bill sur ses genoux et Bill enroula ses jambes autour de la taille de Tom, poussant son corps plus près. Leur chaleur corporelle se mélangeait et Bill laissa échapper un soupir tremblant. Ils se balancèrent ensemble, les doigts entrecroisés, la respiration lourde. Tom se défit de la main de Bill et glissa ses doigts en bas du dos de Bill, joua avec le bout de son tee-shirt. Ses doigts effleurèrent sa peau brûlante en dessous, et il passa ses mains sous le tee-shirt de Bill, massant son bas du dos, et Bill ronronna doucement.
La peau de Bill était douce sous les doigts rugueux de Tom, et il les appuya doucement dessus, sentant Bill cambrer son dos. Tom le regarda et Bill avait l'air si bon, si délicat et bien dans ses bras. Il appuya son visage contre le torse de Bill et Bill caressa les dreads de Tom.
« Tomi » chuchota Bill, baissant la tête.
« Quoi? »
Bill saisit le visage de Tom et l'embrassa, et Tom sourit contre lui. La connexion désespérée entre eux était forte, presque tangible, et cela faisait se tordre le ventre de Tom de la plus délicieuse des façons.
Il ferma les yeux et souffla, capitulant.